First of all - Wenceslas & Zelda

First of all...

Dans ces journées qui s'annonçaient particulièrement calmes, j'aimais prendre du temps pour moi. Rien de bien prenant à vrai dire. Juste rester un peu seule dans ma bulle. Il m'arrivait de quitter l'hôtel ou de simplement y rester. Sans une pile de choses à faire ni de réclamations. Si à être entre les murs de l'Orange Blossom cela m'exposait à être réquisitionnée à n'importe quel instant sur mon jour de repos, le pari me convenait. En vérité, je ne quittai jamais cette casquette de directrice. Il m'était arrivé d'être réveillée en pleine nuit pour régler un désagrément ou devoir m'occuper d'un client mécontent de tel ou tel détail pourtant insignifiant mais qui, au sein d'un hôtel de notre chaîne, était tout bonnement intolérable.

J'en avais fait mon sacerdoce. Seul moyen de garder la tête haute aux réunions de famille. En acceptant cette fonction, j'existais au milieu des Primas Rahmani. Ce qui était une véritable prouesse. Car malgré les discours de tolérance au sein de notre famille, nous n'en restions pas moins un cercle fermé qui n'avait que très peu de considération pour les ordinaires. Les gens comme moi... En tant que descendante des premiers Aqua, je ne parvenais pas à me voir autrement que comme un échec aux yeux des miens. Ils ne le montraient pas de manière évidente, mais cela se comprenait très facilement. Surtout avec ma jumelle en exemple de perfection tout à côté de moi. Le monde tout entier aurait été beaucoup plus simple si nous n'avions été que toutes les deux... Et qui sait, mes pouvoirs se seraient peut-être déclarés.

C'était à cette fatalité que se vouaient mes pensées dans cette partie de billard que je m'étais lancée toute seule dans ce salon un peu en retrait des autres. J'avais envoyé le barman en pause le temps que j'occupais la pièce. En tant que directrice, j'avais à peu près le droit de tout, ce qui était pratique et un brin satisfaisant dans ce genre d'endroit. J'ai beau avoir grandi sans l'ombre d'un besoin, j'avais conscience de la chance que j'avais. Que cette situation privilégiée était une bénédiction. En abuser n'était pas dans mes habitudes, d'ordinaire.

Ce salon était souvent privatisé pour des petits groupes d'affaires, réunions sans l'envie d'être trop formelles mais souhaitant garder un certain standing. Assises de cuir remboursé marron foncé, tables basses en bois plein sculpté et cheminée décorative. Un petit poste derrière le comptoir du bar permettait de mettre un peu de musique. Ce que fis en diffusant du Reinhardt. Besoin d'un petit air de guitare pour accompagner mes pensées. J'en profitai pour me servir un verre quand un homme entra dans le salon dont je n'avais pas fermé les portes.

@Wenceslas Zakharov - fiche par Vanka

Il y a deux choses importantes dans la vie : la santé et la famille. Par chance, tu es béni des deux ! Mais l'un s'échine à te donner plus de fil à retordre que l'autre. Quel audace de se plaindre alors que t'es parents t'ont tout donné ? Tu entends ta Babushka te meugler aux oreilles comme si tu étais le plus ingrat des fils et petits-fils. Impertinent, tu l'es, c'est certain. Mais tu as tes raisons pour te plaindre des tiens. Heureusement, à nouveau loin de Moscou, tu peux respirer de l'air frais et oublier les remontrances. Les faux semblants et l'hypocrisie constante qu'il y régnait. Ta sœur installée dans cet hôtel prestigieux, déjà envolée tu ne sais où, peut-être au spa ou dans un des autres services si bien vendus par l'hôtesse d'accueil, tu te décides toi aussi de faire un tour.

L'hôtel doit être une solution de dépannage. Provisoire en attendant de trouver quelque chose qui te charme et fait vibrer ton cœur d'écrivain. Il te faut quelque chose de calme, poétique, un brin mélancolique et surtout où tu pourras te vider l'esprit pour y loger la suite de ce roman que tu tentes d'écrire en vain depuis toutes ces années. Tu y tiens, car c'est en publiant ce livre que tu prouveras à tes parents que cette voie, c'est ta voie. Ce qui n'est pas chose aisée. En attendant, tu aimes à dilapider la rente dont ils te gratifient dans ce genre de palaces éphémères sans te priver.

Les lieux sont forts agréables et tu te plais à en arpenter les couloirs. Tu finis par tomber sur un salon qui semble bien calme en ce milieu d'après-midi. Un petit bar cosy, une grande table de billard et des canapés, fauteuils en cuir épais. La musique qui se fait entendre est très douce, mélodieuse, rythmée. Un jazz. Combien d'années n'as-tu pas entendu de jazz ?

Rien qu'à l'identification, tu as un sourire aux lèvres qui te pousse à entrer avant même de savoir si tu en as le droit. Mais la présence de la jeune femme en noir et blanc te fait penser que oui. Quand tu la vois passer derrière le comptoir, tu l'identifies clairement comme étant une serveuse. Une serveuse qui s'était accordée une pause à faire une partie de billard toute seule on dirait...

- Je prendrai la même chose que vous.

Dis-tu en approchant du bar en la voyant sortir un verre. Tu t'installes et d'un coup d'œil, tu jauges la table de billard.

- Ce n'est pas trop dangereux de jouer pendant son service dans cet hôtel ?

Fais-tu mine de te soucier. Une pointe de provocation, une pointe d'amusement. Embêter les gens, ce n'est pas dans ta nature, mais tu sembles l'avoir prise pour cible dans ton errance quotidienne.